CARTE BLANCHE | Sarah Loko-Guerschner : “Née pour être une combattante”

Publié le 23 November 2017

Partagez cet article

CARTE BLANCHE

Enceinte de son premier enfant, Sarah Loko-Guerschner nous raconte son expérience de vie dans un billet également publié (en anglais) sur le site JudoInside. Elle nous fait part de sa joie à venir mais également de ses doutes sur son avenir sportif et de ses ambitions personnelles.

Aujourd’hui, j’entame la dernière ligne droite de ma grossesse avant de donner naissance à mon petit garçon. Évidemment je suis la plus heureuse des femmes mais je ne cesse de penser à mon avenir en tant qu’athlète de haut niveau et comment la fédération m’accueillera lors de mon retour sur le tatami.

Après une longue procédure de deux ans en vue d’obtenir la nationalité belge, l’arrivée tardive de mon passeport et l’échec de la qualification olympique pour Rio 2016, j’étais épuisée et j’avais besoin de faire une pause. J’avais en tête de me concentrer sur ma nouvelle vie de femme mariée et  de me bâtir un avenir professionnel stable. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à tomber enceinte si rapidement, mais je réalise que c’est le plus beau cadeau que Dieu puisse offrir à une femme.

J’aimerais remonter sur les tatamis en 2018 et pourquoi pas tenter la qualification olympique cette fois-ci, avec un peu plus de temps ? Mais la question est : comment revenir au niveau sans sponsors et sans aides financières ? Ma situation n’était déjà pas fameuse ces derniers mois, alors j’imagine que le pire est à venir, je n’ai le droit à aucune bourse…

L’European Open de Sofia, une date à oublier

Ma dernière apparition sur les tatamis remonte à février 2017, à l’occasion de l’European Open de Sofia. Je suis rentrée à la maison avec une 7e place, le meilleur résultat belge en moins de 63 kg mais ce fut sans doute  la compétition la plus horrible de ma carrière. Mentalement, j’étais au plus bas et la santé n’était également pas au beau fixe. J’avais passé les deux dernières années à lutter pour un passeport et à survivre financièrement en utilisant toutes mes économies dans le but de réaliser mon objectif, celui de participer aux Jeux olympiques. La fatigue avait pris le dessus sur mes sentiments et émotions. J’étais vidée. Je me vois encore en train de pleurer dans les bras de mon mari, à l’aéroport de Cologne, la veille de la competition. J’avais de sérieuses lacunes en fer, mais je n’avais pas d’autre choix que d’aller combattre.

© Belga

La Fédération (la VJF) nous offrait trois European Open et j’avais besoin d’au moins une médaille pour être retenue pour le rendez-vous européen qui allait se tenir à Varsovie,  en Pologne.  Il était hors de question pour moi de manquer l’Euro après avoir échoué face à la Russe en huitième de finale, en 2016. Un peu plus tard le même mois, j’ annulais Oberwart. La raison ? Je n’étais même pas  en mesure  de sortir du lit pour aller m’entraîner. Je crois que la chose la plus courageuse a été d’informer mon coach que j’étais à bout et que je ne participais pas  au tournoi. Le docteur m’a donc mise au repos plusieurs mois. C’est peut-être là que tout a commencé…

Enceinte ou pas ?

Mai 2017 restera probablement le meilleur moment de ma vie. Non pas parce que j’ai appris que j’allais devenir maman, mais par la façon amusante dont les choses se sont déroulées. Je me sentais  faible depuis plusieurs semaines, mais je ne pensais pas être enceinte car mon époux et moi ne l’avions pas planifié. Enfin, pas si tôt. Tous les matins à la même heure, mon petit déjeuner terminait au fond des cabinets. Était-ce un problème d’estomac ? Un virus ? Dieu seul le savait…

J’étais habituée à ce genre de petits désagréments , je décidais donc de prendre des médicaments pour calmer un peut tout cela, mais malheureusement tout repartait de plus belle après quelques jours. Je ressentais un mélange étrange de sentiments : la peur d’apprendre que je pouvais devenir maman et que j’aurais à laisser mon judogi au placard, être mise de côté par la Fédération seulement quelques mois après avoir obtenue la nationalité belge mais aussi la joie d’annoncer à mon mari que nous pouvions désormais être trois. C’était assez étrange ! Je voulais en avoir le cœur net. Je m’ empressais donc d’aller faire part à mon entourage de la nouvelle. C’était le premier week-end de mai et je devais aller à l’anniversaire de ma meilleure amie Valériane qui fêtait ses 30 printemps à Paris. Je n’arrivais pas à dormir la veille avant de faire le test, j’étais très anxieuse à l’idée de connaître les résultats.

C’était un samedi aux alentours de 05h00. Je bougeais dans tous les sens dans mon lit pendant que mon mari dormait paisiblement à côté de moi. J’étais encore un peu endormie mais je décidais finalement d’aller faire ce fameux test d’urine. J’ai vécu sans doute les trois minutes  les plus longues de ma vie. Le résultat pointait enfin le bout de son nez : positif ! Pendant quelques secondes je pensais avoir des hallucinations. Sans hésiter, je courrais dans les bras de mon époux : “Daniel, es-tu prêt à être père ? Regardes-ca !” Il y avait tant d’émotions sur son visage. Après avoir annoncé la nouvelle à ma famille , ma sœur aînée me conseillait de faire un test sanguin pour être sûre. Les résultats furent confirmés. Le suivi médical ne s’est donc pas fait attendre. Je voudrais remercier Myriam Roper de m’avoir présenté mon mari il y a  un peu plus de trois ans, peut- être que je n’aurais pas été la femme que je suis aujourd’hui…

La grossesse n’est pas une maladie mais une force  

La plupart des gens pensent qu’il est dangereux de pratiquer une activité sportive pendant la grossesse. Selon moi, toutes les femmes qui ne rencontrent pas de complications doivent être encouragées à faire un peu d’exercices pour femmes enceintes, ou du renforcement. Surtout les athlètes qui souhaitent poursuivre leur carrière après la naissance de leur bébé. C’est aussi un moyen de préparer son corps à accueillir bébé dans les meilleures conditions.

© Belga

Les trois premiers mois de ma grossesse ont été horribles. Je passais mon temps à vomir et à rester alitée. Je ressentais également des douleurs qui pouvaient être dangereuses pour le bébé donc je devais faire le moins d’effort possible. Au départ, mon médecin m’avait interdit toute activité sportive. Maintenant que je suis à la fin de l’aventure et que les complications ont disparues, j’ai la sensation d’être une autre femme. Les batteries sont pleines et je peux m’entraîner un petit peu. Mon docteur a souhaité que je continue à travailler un peu et que je fasse du sport afin de contrôler mon poids. J’essaie donc de faire une heure de sport par jour. Uchi komis avec élastique, travail de posture, natation, exercices de positionnement du bassin, yoga et étirements, pilate,… Je suis aussi des cours de maternité. C’est le prix à payer si je veux être de retour sur les tatamis l’année prochaine et être prête à donner naissance.

2018, pour enfiler à nouveau le judogi

Je n’ai qu’une hâte, c’est de reprendre le judo ! Ce sera très certainement l’année prochaine, mais je vais d’abord me concentrer sur l’arrivée de mon petit champion. Son papa (ancien champion d’Europe de l’équipe nationale allemande et entraîneur national) et moi ne savons pas s’il sera un spécialiste d’uchi mata ou ura nage, in judoka ou un lutteur. Mais une chose est certaine : ce sera un combattant. Il n’y a qu’à voir la façon dont il donne des coups à maman tous les jours. J’aimerais continuer à évoluer au plus haut niveau après la naissance de mon bébé et m’exprimer enfin dans ma nouvelle catégorie de poids, que je côtoie seulement depuis ma naturalisation tardive. J’ai eu beaucoup d’échec avant  Rio mais j’ai également obtenu des résultats en Continental Open en battant parfois des filles du top 30 mondial, donc je me dis que tout est possible. Beaucoup d’athlètes ont réussi à briller après leur grossesse. Je pense que tout est une question de courage et de motivation. Mon mari est entraîneur, donc il me conseille aussi beaucoup. Je suis bien entourée. Toutes les difficultés que j’ai rencontrées ces deux dernières années et cette pause pour donner naissance font de moi  aujourd’hui une personne plus forte.

Je pense juste à comment je vais parvenir à financer mes différents tournois et camps d’entraînement puisque je n’aurai sans doute pas d’aide de la Fédération ou de sponsors. Je suis enceinte mais j’ai continué à travailler un maximum, pour essayer d’économiser de l’argent et me mettre un peu à l’abri pour lorsque je serai de retour sur le tapis. Je proposais des activités sportives ou non pour les enfants d’une banque française  très connue. Pendant les vacances, leurs parents pouvaient aller travailler sans stress pendant que leurs enfants faisaient du judo et plein d’autres choses amusantes. Mes collègues  étaient toujours impressionnés de me voir travailler avec un ventre aussi gros et je leur disais toujours: ” J’ai des racines africaines et je suis née pour être une combattante”.

Très proche de l’heureux événement et très fatiguée, je débute à présent mon congé maternité car mon petit guerrier peut arriver à tout moment.

© Sarah LOKO-GUERSCHNER

Partagez cet article

Back to Top