Rosseneu : “Lorsqu’il s’agit de gérer son poids, certains athlètes font des choses stupides”

Publié le 28 November 2017

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Ancienne judoka professionnelle, la Belge Amelie Rosseneu revient sur le devant de la scène avec un livre mêlant sa passion pour les sports de combat et sa profession, la diététique.

Multiple médaillée sur la scène internationale, Amelie Rosseneu s’est aujourd’hui reconvertie dans le secteur de la santé. Diététicienne de formation, elle prodigue ainsi ses conseils et partage son expérience à plusieurs sportifs professionnels. Autant de recommandations qu’elle distille avec Roni Schwartz, une autre ex-judoka professionnelle, dans un livre sorti récemment en anglais : “Making Weight & Everything Else”. Ou comment aider les combattants à ne plus se rendre esclave de leur poids. Interview.

Amelie Rosseneu, comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur les problèmes de poids que peuvent rencontrer les combattants ?

En fait, cela fait trois ans et demi que j’ai entamé ce projet. A l’époque, je souffrais d’une grave blessure au genou et les médecins estimaient qu’il allait me falloir un an pour me rétablir complètement. Il était impossible pour moi d’aller plus vite que la musique et je ne savais pas quoi faire de mon temps libre. C’est alors que mon ancien entraîneur, Neil Adams, m’a suggéré de profiter de cet arrêt forcé pour écrire un livre sur la diététique et les sports de combat, deux sujets que je maîtrisais déjà très bien. Et voilà comment tout a commencé. Je ne m’attendais juste pas à mettre trois ans pour en terminer avec ce bouquin.

En tant qu’ancienne judoka professionnelle, vous connaissez bien la problématique des régimes à répétition. Comment viviez-vous tout cela ?

Atteindre la barre des 48 kilos (sa catégorie de poids en compétition, NDLR) demandait surtout une bonne organisation de ma part. Ainsi, je savais exactement le poids que je devais avoir à tel ou tel jour de la semaine qui précédait le début de mon tournoi. Si je respectais ce schéma qui m’était propre et que j’avais peaufiné au fil des ans, je ne rencontrais aucun problème au moment de la pesée.

Amelie Rosseneu a été championne de Belgique seniors à sept reprises. © Photo News

Par contre, certains sportifs que vous avez interrogés pour les besoins de votre bouquin ont parfois connu beaucoup plus de difficultés à atteindre le poids qu’ils s’étaient fixé…

Il est vrai que certaines des histoires que j’ai pu entendre sont assez incroyables. Je me souviens notamment d’une anecdote qui m’a été racontée par un athlète à qui l’entraîneur avait imposé, durant un camp d’entraînement, d’atteindre un poids irraisonnable pour le lendemain. Il était tellement angoissé à l’idée de ne pas y arriver qu’il avait décidé de se lever à 04h00 du matin pour aller courir. Le hic, c’est que lorsqu’il a essayé de se faufiler dans sa chambre via la sortie de secours afin de ne pas être vu, il a enclenché l’alarme incendie de l’hôtel et a réveillé tout le monde autour de lui.

En feuilletant votre livre, on a parfois l’impression que de nombreux combattants s’y prennent assez mal dans la gestion de leur poids. Est-ce le cas ?

Je suis certaine que certains d’entre eux, tout comme leurs entraîneurs, ont des lacunes dans ce domaine. Ils ne savent pas vraiment comment gérer leur poids correctement. Lorsque j’étais judoka professionnelle, je peux vous assurer que j’en ai vu quelques-uns faire des choses tellement stupides que ça leur portait certainement plus préjudice qu’autre chose.

Récemment, j’ai enchaîné les conférences et les rencontres dans le cadre de la promotion de mon livre. Et j’ai été très surprise de voir à quel point les gens étaient parfois mal informés sur les problématiques nutritionnelles. Il y a par exemple des méthodes très simples et inoffensives pour perdre du poids mais je me suis rendu compte que pas mal d’athlètes et de sportifs ne les connaissent pas. Ainsi, pour eux, courir avec un survêtement est ainsi la façon la plus simple de transpirer, et pourtant c’est une des méthodes les plus dangereuses qui existent…

Pour donner un exemple, pas mal d’athlètes avalent des boissons énergisantes lorsqu’ils font régime. Dans leur esprit, c’est une bonne façon de recharger les batteries afin de pouvoir se dépenser à nouveau. Seulement, même si l’idée de base n’est pas mauvaise, ils oublient que ces boissons sportives ne contiennent pas seulement du sucre mais aussi du sel. Et le sel, comme on le sait, a tendance à conserver l’eau que les athlètes souhaiteraient transpirer. Bref, dans ce cas-là, mieux vaut boire du thé avec un peu plus de sucre.

En tant que diététicienne, existe-t-il des aliments que tous les combattants devraient consommer ?

Selon moi, il n’y a aucun aliment qu’on puisse recommander sans problème à tout le monde. Déjà, les goûts des uns ne sont pas ceux des autres. Et puis, de plus en plus de recherches scientifiques montrent que le corps des gens répond très différemment à l’ingestion d’un seul et même aliment. C’est logique quand on y réfléchit : notre patrimoine génétique, les bactéries qui vivent dans notre estomac ou encore notre mode de vie influent tous sur notre digestion. C’est ce qui fait, par exemple, que manger des pâtes avant un effort convient parfaitement à certains d’entre nous alors que cela risque de perturber les performances des autres.

Par contre, la seule chose que je peux affirmer, c’est qu’il y a une série d’aliments qui doivent être évités. Et ceux-là, tout le monde les connaît… Quand je pense que certains entraîneurs emmènent encore leurs athlètes manger dans des fast-foods, ça me rend folle !

Enchaîner les régimes comme peuvent le faire les sportifs professionnels n’est-il pas dangereux malgré tout ?

Perdre du poids à plusieurs reprises sur une année n’est pas forcément dangereux. Tout dépend de la façon dont l’athlète le fait. S’il le fait intelligemment, en écoutant son corps, il n’y a pas de danger. D’où l’importance de bien se connaître et savoir ce qui est sain pour son organisme.

Vous savez, il n’y a pas si longtemps, une jeune fille de 18 ans est morte en s’efforçant de perdre du poids. Tout ça pour dire que les athlètes et leurs entraîneurs doivent être honnêtes avec eux-mêmes au moment de choisir la catégorie qui leur convient le mieux.

Personnellement, quand j’accompagne des sportifs, je limite toujours à 5% leur niveau de déshydratation pendant leur régime. Aller au-delà est trop dangereux. C’est prouvé scientifiquement d’ailleurs. Et donc, je refuse de prendre ce risque. Mais à nouveau, c’est à chacun de sentir quelles sont ses limites.

Dans votre livre, vous évoquez aussi les risques qu’encourent les sportifs qui sont trop “professionnels”. Que voulez-vous dire par là ?

Beaucoup d’athlètes savent qu’ils ont plus de chance d’atteindre leurs objectifs s’ils travaillent dur pour y arriver. Mais ils oublient aussi parfois qu’ils peuvent vite en faire de trop. Ainsi, si s’entraîner beaucoup trop peut influer négativement sur la performance et être même à l’origine de graves blessures, c’est la même chose lorsqu’il s’agit de se nourrir : pousser un régime à l’excès peut avoir des effets dévastateurs.

Je me souviens avoir déjà vu des sportifs qui allaient trop loin dans leur régime. Non seulement ils ne perdaient plus de poids, mais en plus ils étaient moins performants et se blessaient plus souvent. Ils ne comprenaient pas que leur corps avait besoin d’assez d’énergie pour fonctionner correctement et qu’ils ne perdraient du poids plus facilement qu’à partir du moment où ils mangeraient. Je peux comprendre que c’est compliqué à assimiler, mais c’est la réalité.

Vous écrivez aussi à propos des jeunes combattants. Vous expliquez qu’ils ont besoin de bien manger pour grandir correcetement. Selon vous, les adolescents peuvent-ils faire régime ?

En tant que diététicienne ou ancienne judoka, j’assure qu’il n’est pas bon de perdre du poids pour les personnes qui grandissent et qui se développent physiquement. Les entraîneurs protestent souvent quand je dis ça mais des études scientifiques prouvent ce que j’avance. D’ailleurs, quand j’étais compétitrice, je n’ai jamais cherché à perdre du poids avant de participer à un Euro U17 où j’entrevoyais la possibilité d’y accrocher un beau résultat. Et encore, à l’époque, j’ai suivi un régime sans l’aide de personne. Avec le recul, j’aurais tellement aimé être conseillée.

Amelie Rosseneu a été médaillée à plusieurs reprises sur la scène internationale. © Photo News

Faire régime trop tôt n’est pas seulement inquiétant pour la santé de l’athlète. A cet âge-là, il faut aussi se préoccuper des effets psychologiques et physiologiques à long terme que ça peut provoquer. Bref, il faut être conscient de ce que ça implique, ne surtout pas prendre ça à la légère et consulter un professionnel pour être guidé de la meilleure façon possible.

Votre livre s’adresse principalement aux athlètes qui font des sports de combat. D’autres sportifs comme les coureurs ou les gymnastes peuvent-ils y trouver des conseils pertinents pour leur pratique ?

“Making Weight & Everything Else” a été écrit principalement pour les athlètes qui pratiquent des sports de combat. D’ailleurs, lorsque je me suis penché sur le sujet, j’ai pris en compte la nature de leurs efforts, l’intensité et la durée de leurs entraînements ainsi que le temps et le nombre de combats par compétition notamment.

Bien sûr, des athlètes provenant d’autres disciplines peuvent apprendre les bases de la nutrition sportive grâce à mon livre, mais au final, connaître ces bases n’est pas suffisant pour ceux qui cotoyent le haut niveau. Et donc, rien que par le fait qu’ils travaillent des muscles et des compétences physiques différentes, les coureurs ou encore les gymnastes ne peuvent pas se calquer totalement sur ce que font les combattants dont je parle ici.

Au final, si vous deviez donner un conseil aux judokas, karatékas et autres boxeurs, ce serait lequel ?

Je leur dirais avant tout qu’ils ne doivent pas oublier que faire le poids n’est pas leur objectif principal. Leur objectif principal, c’est gagner la compétition.

© Kickstarter

« Making Weight & Everything Else », 198 p.

© Alan MARCHAL

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